La Fée Lation

Il était une fois une veuve qui avait deux filles.

L'aînée, Caroline, ressemblait trait pour trait à sa mère : brune, sémillante, la bouche ourlée à ravir, des seins de lune, un cul vif et aéré, avec cela le meilleur esprit du monde. Et que dire de sa motte ? Moussue, tiède, ouverte aux vits les plus tendres comme aux bambous les plus durs, jamais lasse, toujours béant aux bites bleuâtres, si bien que le plus grand des poètes la donnait pour l'avenir de l'homme et de sa braguette réunis. Sa mère l'adorait. Il n'était pas rare, par temps de grand froid et de chiques molles, qu'elles se fissent des langues.

La cadette, Stéphanie, était à l'opposé de sa soeur : on eut vainement cherché sur ce cep de vigne un orifice accueillant. Pas de lèvres, le cul plat, la poitrine inexistante avec, sur tout le visage, l'éclat d'une méchanceté inouïe. Outre cela, d'horribles poils qui lui sortaient des oreilles, un nez crochu, la démarche claudicante, l'esprit nul hormis pour proférer des horreurs. Sa mère ne pouvait s'empêcher de la détester. Au comble de sa colère, elle lui tendait un miroir, afin que le reflet de son âme l'effarât.

 

*

 

Un jour qu'elle se rendait au Super U pour y acheter, entre autre, un sac de billes (elle utilisait une fronde pour les lancer sur les chats), Stéphanie se retrouva coincée dans une file d'attente. La caissière lambinait, bavardait, multipliait les erreurs et exaspérait tous les clients. Devant Stéphanie, une petite vieille accompagnée d'un jeune garçon, se résignait en silence. Voyant que la jeune fille s'énervait, elle lui dit :

- Puisque vous n'avez qu'un sac de billes, Mademoiselle, et que vous êtes pressée, passez devant moi.

Sans un mot de remerciement, Stéphanie passa.

- Grand-mère, dit à ce moment-là le petit garçon, moi aussi je voudrais un sac de billes.

- Une autre fois, si tu es sage, répondit la vieille dame.

Stéphanie paya, sortit et allait atteindre sa voiture, quand elle entendit une voix l'interpeller :"Mademoiselle ! Mademoiselle !" Agacée, elle fit volte-face, prête à rabrouer l'intrus, lorsqu'elle reconnut le petit garçon du magasin qui lui tendait un paquet :

- T'avais oublié tes billes, lui dit-il en souriant.

Stéphanie avança la main pour les prendre, mais le sourire de l'enfant la désarma. Quelque chose venait de se passer, qu'elle ne s'expliquait pas. Elle s'entendit répondre :

- Garde-les. Je te les donne.

Aussitôt, la vieille fée qui avait assisté à la scène s'approcha et lui dit : "Nous te remercions pour ton cadeau. En retour, je vais t'offrir quelque chose de précieux. Désormais, tous les hommes et toutes les femmes seront à tes pieds. Tu n'auras qu'à ouvrir la bouche pour que le moindre de tes voeux soit exaucé".

Et sur ces paroles sibyllines, la vieille fée et le petit garçon tournèrent le dos et disparurent.

 

*

 

Dès son retour, Stéphanie courut s'enfermer dans sa chambre. Tous les miroirs y étaient brisés, les murs nus, le lit toujours défait. "Ouvrir la bouche, c'est vite dit ! se prit-elle à murmurer. Mais avec mes dents pourries et ma tronche en biais, ce n'est pas demain qu'un homme s'y glissera ! Les pipes, c'est bon pour cette salope de Caroline ! Oh, et puis merde !"

Elle sortit dans le jardin et, voyant qu'un buisson remuait, elle s'approcha. C'était le jeune fils du jardinier qui, le pantalon sur les chevilles, se branlottait gentiment. Une nouvelle fois, Stéphanie se sentit prise d'une très grande pitié :

- Ah, que tu t'y prends mal, lui dit-elle. Laisse-moi faire !

Penaud, le jeune garçon regarda Stéphanie s'agenouiller devant lui et le prendre dans sa bouche. "Hum, comme les petites bites sont bonnes !" songea Stéphanie. Las, la nature l'ayant doté d'un nez trop long, elle avait beaucoup de mal à l'engloutir tout entier. "Ah, si j'avais un petit nez comme cette conne de Caroline, qu'il me serait doux de le brouter jusqu'aux burnes !" Détail infime, qui n'empêcha nullement le fils du jardinier, serviable comme on ne l'est plus, de lui lâcher sa copieuse purée.

Dès qu'elle vit Stéphanie, sa mère s'exclama :

- Mais qu'as-tu fait à ton nez ? Il a raccourci de cinq centimètres !

Stéphanie tâta son appendice et compris : son premier voeu venait de se réaliser brusquement. Sans mot dire, elle monta dans sa chambre, attendit que le soir tombe, et là, déguisée en péripatéticienne de luxe, elle gagna le bois de Boulogne à l'affût de son premier client. Jamais comme cette nuit-là, elle ne suça autant de bites. Tout y passa : chauve à col roulé, chibre royal, flageolet mignon, pine paysanne, robinet d'amour, zob maghrébin, gros cigare à moustaches, papillon soyeux du Sénégal - et la fameuse quéquette française, celle qui porte à droite : tricolore, chauvine et lepenniste.

A chaque pipe, Stéphanie faisait un voeu : les yeux, la bouche, les seins, le cul, les gambettes, tout y passa. Lorsqu'elle rentra chez elle, à quatre heures du matin, elle chercha vainement un miroir pour se contempler. Puis, lasse des efforts de sa nuit et l'estomac remué par le babeurre, elle s'endormit jusqu'au matin.

 

*

 

Quand, le lendemain, sa mère entra dans sa chambre, quel ne fut pas son étonnement !

- Mais qui êtes-vous, Mademoiselle ? Et que faîtes-vous dans la chambre de ma fille ?

- Ah, ma pauvre mère, que tu es conne !

- Stéphanie ? Ah non, je rêve ! Ce n'est pas possible ! Mais que s'est-il passé ?

Alors Stéphanie lui raconta tout : le sac de billes, l'enfant, la vieille bique; et toute la kyrielle de pipes qu'elle avait dû engloutir pour réaliser ses voeux. Puis :

- Alors, c'est vraiment bien ? demanda-t-elle. Je suis vraiment transformée ?

- Mais viens te voir : tu es superbe ! admit sa mère.

Effectivement, l'image que lui renvoyait son miroir la laissa pantoise. Même Caroline en eut des aigreurs :

- Faire des turlutes, c'est à la portée de tout le monde ! lança-t-elle.

- La jalousie t'égare, chère soeurette. Tu confonds la pipette estudiantine et le broutement professionnel. Suffit pas d'avoir bouffé du Bounty jusqu'à vingt ans pour éponger convenablement une défonceuse grand format ! D'un côté, tu as Cosette faisant une mignardise au père Thénardier; de l'autre, c'est Madame Monica qui pompe Bill. Autres gens, autres moeurs. Tiens, je parie que tu es encore du genre Hélène et les garçonnets : la princesse et le pipeau !

Vexée, Caroline sortit. Si cette fée sévissait au Super U, elle se faisait fort de la trouver à son tour. A défaut de l'embellir, elle pourrait au moins la rendre riche à millions !

 

*

 

Très vite, Caroline repéra la petite vieille et le gamin qui faisaient leurs courses. Comme nous approchions de Noël, elle acheta quelques jouets et, au moment de passer à la caisse, subrepticement, elle se glissa derrière eux. Très vite, le gamin repéra les beaux jouets qu'exhibait ostensiblement Caroline :

- Grand-mère, je voudrais que tu m'achètes un avion !

- Une autre fois, si tu es sage, répondit à nouveau la vieille dame.

- Il te plaît ? dit Caroline. Tiens, je te le donne.

- Vous êtes trop aimable, Mademoiselle. Nous penserons beaucoup à vous le soir de Noël, lui dit la vieille.

Et elle sortit, accompagnée de l'enfant émerveillé.

 

*

 

Chaque soir, maintenant, Stéphanie sortait tailler quelques plumes. Non pour agrémenter ses charmes (elle était au sommet de sa vénusté), mais pour en exercer le pouvoir. Jamais elle n'avait imaginé qu'on pût jouir autant d'être belle. Il lui suffisait, dans la rue, de croiser un homme, de lui jeter un regard de mie de pain, pour qu'il se mette à la suivre comme un chien. C'est peu dire qu'ils en remuaient la queue : ils la suppliaient d'être leur compagne, leur avenir poétique, leur rêve immarcescible d'une chaumière et d'un coeur, enfin leur femme au foyer qui tant s'épanouit entre mioches et casseroles, panier à linge et parquet. Stéphanie écoutait cette barcarolle avec une arrogance superbe; puis, dès que l'occasion s'en présentait, elle fondait sur sa proie, l'expurgeait de son trop plein de lyrisme et renvoyait l'impétrant à ses charentaises, sa voiturette anti-pollution et son gourbi moquetté.

Le soir de Noël, exceptionnellement, sa mère avait tenu à rassembler leur imposante famille. Frères, soeurs, oncles, tantes, marraines, parrains, cousins proches ou éloignés : tous étaient accourus, les bras chargés de cadeaux, pour fêter la naissance de l'enfant-roi et la métamorphose de Stéphanie. Aux deux extrêmes bouts de la table, parmi la quarantaine d'invités, les deux soeurs se faisaient face, trépignant d'impatience : l'une, espérant l'apparition du Veau d'Or, l'autre chipotant sur les assiettes en vue de sa provende d'onguent.

On approchait de minuit, quand un invité de la dernière heure se présenta. Il s'agissait d'un vague cousin qui sévissait dans les plates-formes pétrolières et arrivait d'Orient. Haute stature, oeil d'aigle, gestes souples, barbe de trois jours, costume impeccable, diam à l'oreille : il ne pouvait s'appeler que Steeve. Ce qu'il confirma, en exhibant une paire d'incisives où scintillait un éclair.

Tout de suite, au grand dam des invités, les deux soeurettes se précipitèrent vers le nouvel arrivant, rivales dans l'âme et le bifteck,déjà reniflant la bête de luxe qu'il faut désosser, purger de ses glandes et congeler pour l'hiver. On lui laissa juste le temps de boire quatre whiskies; et on l'entraîna dans les étages pour lui faire visiter culottes, glottes et mottes, nos deux postulantes éperdues de romantisme, la paupière nictitante, l'oeil humide et le reste itou.

 

*

 

Très vite, le beau Steeve fut submergé par l'événement.

L'emmêlement des bras, des jambes, des bouches voraces et des orifices clabaudeurs, tant de gémissements et de chairs tièdes le rendirent fou. Jamais son pal n'avait été l'objet d'autant de soins. On le biberonnait, le langeait de masses chaudes, l'enfournait dans des enfers de moiteur, le consolait de bises maternelles et de suçons salvateurs. Durant trois heures, elles le vidèrent de sa moelle, l'aspirèrent comme des harpies, lacérèrent son dos et sa poitrine et le laissèrent, enfin, gisant dans son jus et sa stupeur.

Quand il se réveilla, deux heures plus tard, Caroline et Stéphanie le regardaient en riant.

- Et si tu nous parlais un peu de toi ? lui demanda Stéphanie.

Alors Steeve se conta par le menu : il était jeune, beau, intelligent et terriblement modeste. Sa fortune ne se comptait plus. Il vivait dans un palais mauresque, entouré d'esclaves nus, marchait sur des feuilles de roses et pissait dans des bourdalous en or massif. Le soir venu, respirant le vent des sables, il se branlait en songeant à l'aimée future, la blonde Antinéa qui partagerait sa destinée misérable, aventureuse et fatale.

- Mais nous sommes blondes l'une et l'autre ! dit Caroline. Laquelle choisiras-tu pour l'épouser ?

- Mais le Coran ne m'interdit pas de vous épouser l'une et l'autre ! répliqua Steeve.

- Oui, mais notre roi Très Chrétien s'y opposera formellement. Il te faut choisir !

- Bien, dit Steeve. Alors dans ces conditions, celle qui me sucera le mieux sera ma femme. J'en ferai la reine de mes nuits. Toute ma fortune lui appartiendra. Elle marchera sur le dos de mes esclaves. Et lors de la fête de la musique, le jour du castrat, elle s'initiera à l'ablation des jeunes burnes, ainsi que l'exige notre belle tradition.

- Je commence la première, dit Stéphanie.

C'est peu dire qu'elle se mit à l'ouvrage ! Décoction de salive, succion sauce burette, pompe Sahel, extase palatine, velouté de lèvres, gland chapé, remoulade de rognons aux trois épices : rien ! Pas le plus infime gonflement ! Même le regard vrillé, façon gretchen, ne lui fit aucun effet. Le soufflet ne montait pas. La limace continuait à musarder dans l'herbe bleue. Alors, folle de rage, Stéphanie sortit le grand jeu : la double aspiration des balloches avec l'index profond, caramélisé au jus de bran. Aucun homme n'avait jamais résisté à ce supplice divin, hormis Steeve, mollasson, guimauve, caramel de merde, pédé !

- Désolé, soupira Steeve au bout d'un quart d'heure. Caroline, c'est à toi .

Impuissante, Caroline avait assisté à cette époustouflante leçon de turlute, assurée maintenant que le magnifique Steeve ne lui reviendrait jamais. Vous pensez, une telle science ! Même sa mère, pourtant élue première dauphine de Miss Pompe en Languedoc-Roussillon, dans les années 50-55, elle faisait ringarde, dépassée par le modernisme turluteur ! Intimidée, vaincue, le coeur broyé par une telle injustice, Caroline approcha sa bouche purpurine des cuisses de Steeve, aspira le caramel mou entre ses lèvres et, sans même s'inquiéter des larmes qui roulaient sur ses pauvres joues, elle avala l'escargot.

Miracle ! La bête frissonna sous la larmette, l'esquif déplia sa grande voile et - qu'Arthur m'excuse pour cette métaphore audacieuse - le bateau ivre banda. Que dis-je banda ? Il cingla sur la crête de la vague, visita la haute mer, gagna la grotte où nage la sirène ( Pardon, Gérard) et là, ballottant d'un flanc sur l'autre, il vida sa cargaison.

- Oui, dit Steeve, enfin revenu de son voyage au long cours, science sans conscience n'est que ruine de l'âme. Chère, tendre et divine Caroline, tout le génie de ta soeur n'aura pas prévalu devant tes larmes. Que Diable, où allons-nous si nous méprisons les sentiments ! Et comme le dit si bien le poète : la verge à ses raisons que la raison méconnaît. Venez, jeunes filles, nous allons annoncer nos fiançailles à nos invités. Quant à toi, chère Stéphanie, souviens-toi de la leçon : le Savoir n'est rien s'il n'épouse pas la Poésie.

 

*