Chapitre 1

La nièce du Ministre

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Le Ciel et ma glande pinéale ont voulu que je n'ai pas d'enfant. Vu mon entraînement intensif, mes fréquents changements de véhicules et la supplique de certaines dames, ça frôle le miracle. D'après Bouzin, mon collaborateur principal, surtout vis-à-vis d'un rigolo dans mon genre : " Dieu est ailleurs".

- Comme la vérité ?

- Exactement.

Donc, je bénéficie d'un pot royal : j'enfourne la pâte, le gâteau lève, mais il n'y a jamais la cerise qui va avec.

Ça, c'est le constat.

Maintenant, un chouïa de philosophie genre Arthur (Vous connaissez bien Schopenhauer ?) et après, c'est promis, on entre dans le vif du sujet. En fait, on est déjà dans le sujet. Mais je prélude, façon Fac, histoire d'exciter un peu la galerie. Donc, les enfants, c'est la merde. Au début d'abord, que même Pampers il a fait sa fortune dans le caca, et ensuite vaut mieux tabler sur vingt années de souffrance plutôt que dix. Why ? Mais parce qu'aimer, c'est souffrir ! Pourquoi qu'il tousse ? Pourquoi qu'il est nul en maths ? Pourquoi qu'il veut se planter avec sa mob ? Pourquoi qu'il triple son bac ? Pourquoi qu'il chôme ? Qu'il pleure ? Qu'il fume ? Qu'il aime ? Et toutes ces questions, chiantes à souhait, z'appellent ça "le bonheur d'avoir un gosse" !

Eh bien, ce bonheur, pour Madame Justine Justin, il vient de virer au noir black : sa fille, Elodie Honon, élève de Terminale à l'Institution de Montalembert (Charles René pour les intimes), sa grande fifille adorée a disparu. L'avait pris, comme tous les jours, le métro Château de Vincennes, était descendue à Palais Royal (Blaise s'arrêtait au Port) et s'était rendue de son menu pas de princesse modèle à l'Institution où elle n'est jamais arrivée. C'est la directrice de l'Institution, Madame Isambard de Lafigue ("Appelez-moi Gladys, c'est plus simple") qui a prévenu ses parents par téléphone, croyant à une absence ordinaire, genre rhume des foins, règles douloureuses ou métrite mondaine du millefeuille.

Très vite prévenue, la flicaille avait fait diligence et le cow-boy de l'arrondissement, en la personne du commissaire Albert Lepriseur, n'avait pas ménagé sa peine pour retrouver Elodie.

Tout avait été envisagé : la fugue, l'enlèvement, la fuite sous les saules avec un adolescent, le conflit des générations, la lecture des Nourritures Terrestres ("Familles, je vous hais !") et même le pire, l'appartenance à une secte de Ron Bobbard, le suicide collectif ou particulier, vu que, ce jour-là, Elodie avait reçu une invitation pour assister en direct à Questions pour une championne et au Big Bill, tout dans la foulée !

Résultat : depuis quinze jours, Lepriseur tournait en rond, penché sur des pistes, le tomahawk en alerte, hurlant des cris de guerre à ses ouailles pour qu'ils se remuassent le cul, mais en vain : son enquête, comme lui, se mordait la queue.

Ceci vous explique donc cela : que la ministresse de l'Intérieur, Catherine Woman, a fini par me refiler en douce le bébé, vu que Elodie Honon, c'était justement sa nièce.

Et une nièce de ministre, on a beau dire, ça compte.

Les lynx ne font pas des chats - et, moins encore les lionnes, des grues.

*

Pourquoi moi ? Because I am.

D'abord d'une modestie sans égale (c'est une qualité qu'elle est toujours bien vue du commun) et, surtout, l'art de résoudre la quadrature du cercle. Même Leibniz Gottfried, qu'il sévissait dans le calcul minuscule, il m'arrive pas à la cheville. Bien sûr, Hercule, Sherlock, Arsène, Jules et les autres, ils résolvent des casse-caisson complexes et tout, et je ne conteste pas que Roule touche sa bille dans la Chambre jaune, mais la presse est unanime à mon égard : Tristan, c'est géant. C'est clair, net, sans bavure. Avec, peut-être, un léger abus dans la métaphore et l'hyperbole, mais les journaux y z'aiment bien la couleur voyante : ça vend mieux.

D'ailleurs, lorsque que j'ai dit à Lepriseur :

- Désolé, Albert, mais je suis chargé de reprendre l'enquête à zéro. Mission spéciale. Tu peux me refiler le dossier ?

L'a pas même perdu un quart de seconde :

- Tiens, le voilà, tout y est. Et crois-moi, tu me délivres d'un sacré fardeau. Avec un autre, je crierai à la mission impossible, mais avec toi, impossible n'est pas French.

Du coup, je me suis joué une petite Marseillaise intérieure (je trouve que la mélodie et les paroles participent d'une grande inspiration poétique, pas vous ?) et j'ai regagné mon home pour étudier les dossiers Justin (celui de la ministresse et celui du Commissaire-priseur Le). Et, immédiatement, deux choses m'ont sauté aux yeux :

1. Elodie Honon, face et profil, c'était de la mini-bombe sexuelle : cheveux noirs jusqu'aux bas des reins, visage de madone, cocards immenses qui virent au vert transparent (je me permettrai de vous rappeler que, dans l'Antiquité, la grandeur des yeux était un signe divin), bouche pulpeuse et des rondeurs lunaires à faire pâlir Amstrong.

2. Madame Justin mère, the Justine, c'est sa fille avec quelques heures de vol et quelques kilos en plus, d'infimes rides à la commissures des lèvres (because les baisers) et le même regard glauque, profond, qui semble aspirer la mer et vos tourments les moins avouables, vos besoins d'être cajolé, grondé, de biberonner à la mamelle maternelle, que Freud Sigmund il vous a déjà susurré tout le micmac de vos fantasmes et que c'est pas toujours joli-joli !

Et moi, Tristan de Tréville (pas confondre avec celui de Béroul), commissaire à plein temps et en pleine forme, je m'ai dit qu'une femme pareille, je ne pouvais pas la laisser surir d'inquiétude et transpirer de belles larmes tièdes entre ses seins tressautants - et qu'Elodie, eût-elle déjà passé l'Achéron et gagné le souterrain que Fedor lui-même il connaît pas, je la lui retrouverai.

C'est pas votre avis ?

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