Chapitre 19

La reine mère

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Je me fais un peu de lecture, manière de meubler la case 6812 de mon cerveau surchargé. Après avoir été un boulimique des books, j'ai lu en travers et en diagonale et, maintenant, je picore. Non pas que "j'ai lu tous les livres" (Sacré Stéphane !), mais la molasserie stylistique de nos contemporains et reines me tape sur le Système OS X bêta, qu'il faut quand même débourser 249 francs pour l'acquérir. Mais bon, un type comme James Ellroy, côté polar, il vous laisse à dix longueurs. Z'avez jamais lu ? C'est autre chose que le King nommé Stephen !

Allez, assez de pub et de Dahlia Noir pour l'instant. Katy m'attend (vous permettez que je l'appelle Katy ?) et on ne fait pas attendre une ministresse de l'Intérieur.

15 heures mois cinq.

Je patiente dans l'antichambre de la reine mère, contemplant les guibolles luisantes de la nouvelle et pimpante secrétaire, eu égard aux fantasmes, qu'il faut bien nourrir de temps en temps. Docteur, est-ce grave ? Voilà que les secrétaires, impossible de me les imaginer sans le cigare de Bill ! Celle-ci me regarde comme si j'étais une potiche au rabais. Doit pas savoir que les stars de mon calibre, on croupetonne devant elles en signe d'allégeance. Ah, ma bonne dame, l'éducation n'est plus ce qu'elle était !

15 heures pile : on m'introduit auprès de Catherine Woman.

Superbe, la lionne ! Et généreuse ! Ah, pour être ministre, on n'en est pas moins femme ! Tailleur gris clair, chemisier pourpre, foulard de soie noire pour rehausser la lumière du visage. Et quel éclat dans cet oeil noir et rieur ! Franchement, la femelle dominante, c'est autre chose que le paon dominateur.

- Alors, Commissaire, où en êtes-vous de votre enquête ?

Très différente de Justine, la Katy. Femme de tête à coup sûr. Je me souviens des paroles d'Antoine : "Plus tordu qu'elle, tu meurs". Prudence, Tristan...

- Je collationne les indices, je coupe, je recoupe. Mais... j'avance.

- Et vous avancez quoi ?

- Que votre nièce n'a certainement pas été enlevée. Qu'elle n'est pas morte. Et qu'elle s'est probablement réfugiée avec et chez quelqu'un dont je ne tarderai pas à découvrir l'identité.

Grande maîtrise de la lionne que mon flou artistique exaspère un peu. Je commence doucettement à comprendre les tenants et aboutissants de cette convocation. Donc, je fonce :

- J'ai interrogé principalement votre soeur, le député Horace Kurl et la directrice de l'institution Montalembert.

La Ministre a un sourire d'une discrétion éblouissante :

- Et je suppose que vous n'avez pas manqué d'en obtenir des révélations intéressantes ?

- Oui, Madame.

Mimique étonnée de Queen Katy :

- C'est tout ?

Je gonfle mes poumons, prends mon élan et j'enclenche :

- Horace Kurl m'a révélé certains détails de son existence passionnelle, détails qu'il aurait été plus avisé de garder pour lui. Du moins, les ai-je devinés sans qu'il les étale. Je trouve que c'est un homme dont la retenue n'est pas à la hauteur de la chance d'être si diversement convoité.

- Merci. J'apprécie votre élégance formelle. De mon côté, je n'ébruiterai pas les compliments que ma soeur Justine ne cesse de réitérer à votre égard.

Nous nous sommes compris : les histoires de fesses, c'est plus joli quand elles sont enveloppées dans de la soie.

- Justement, Madame, à propos de votre soeur, il m'est apparu que ses explications semblaient faire l'eau de toutes parts. Je me suis assuré qu'elle mentait. Ce que j'ignore encore, c'est pourquoi ?

(Noterez, au passage, qu'on cause le Versaillais du grand siècle. Pas question de tchatcher à la Katy comme si j'interviewais Céline Dion)

Catherine Ier mime l'effarement racinien, Acte III, scène 2 :

- Comment ? Vous ne le saviez pas ? Mais ma soeur est folle à lier ! C'est justement parce que vous êtes d'une discrétion exemplaire que je vous ai confié cette enquête. Séduisante certes, enveloppée des grâces de la chair, mais folle. Après le départ de son premier mari, on l'a tout de même enfermée pendant quatre ans ! Et elle n'est d'ailleurs pas la seule !

- Je croyais qu'il était mort au cours d'un accident de voiture, juste à la naissance d'Elodie.

- Fichaise ! Il s'est tiré, oui ! Un, jour, il est sorti pour acheter un paquet de cigarettes et on ne l'a jamais plus revu.

- Motif ?

- Oh, beuveries, tromperies, crises d'hystérie, la panoplie complète de la femme instable et dérangée. Dallas, quoi ! Le pauvre Arthur, rien ne lui garantissait que la petite Elodie fût de lui ! Justine toujours saoule et le feu aux fesses, que voulez-vous qu'il fît ? Qu'il l'aimât ? Mais c'était chose impossible. Enfin, Commissaire, ne me dites pas que vous n'avez pas remarqué, chez ma chère soeur, certaines dispositions ?

Katy me sourit d'un air coquin. Et son insinuation grivoise m'atteint juste dans le soubassement gauche, côté tubercule antérieur, si vous voyez ce que je veux dire. Impossible de laisser passer pareille attaque. Tant pis, j'ose...

- Mais Madame, on m'a également laissé entendre que cette vertu était en quelque sorte un signe de reconnaissance familial...

Sourire intérieur de la Katy. Me regarde intensément, me pèse, me soupèse, puis :

- Les hommes sont d'incorrigibles vaniteux. Mais la rumeur passe et le ministre demeure. Au fait, votre voyage en Sologne s'est-il bien passé ?

J'en reste comme deux ronds de jambe et/ou de flan.

Comme jadis l'Antoine, lorsqu'il la précédait encore dans ce bureau : je vois tout, j'entends tout, je sais tout, mais en plus je gouverne.

- Fort bien, Madame, merci.

- Non, non, rassurez-vous, je ne vous espionne pas. Mais Antoine m'a téléphoné. Il a dû vous dire que nous étions d'excellents amis ? A quelques nuances près, évidemment... J'ai toujours beaucoup apprécié l'élégance de ses bretelles et son franc parler. Certes, nous n'avons jamais vraiment été en contact, mais nous le gardons. Subtil comme vous l'êtes, je suppose que vous me comprenez à demi-mot ?

- Madame, à mon âge, les jeux du nombril et du pouvoir n'ont plus de secret pour moi.

Elle se lève, sereine et superbe, me tend une main conviviale, puis :

- Vous avez vu ma nouvelle secrétaire ? Elle ne vaut pas la volcanique Mathilde, mais comme je suis allergique aux explosions...

Dix minutes plus tard, j'ai réintégré ma vieille Jag. J'allume une clope. Une phrase de mon ancien prof de fac me trotte dans le cigare : "L'implicite, c'est comme le sous-vêtement du discours".

Au fait, son "Et elle n'est d'ailleurs pas la seule" s'adressait à qui ?

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