Chapitre 29

Tiens, voilà du boudin

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J'ai regagné mes pénates vers trois heures du matin, le flingue posé sur le siège passager, refaisant trois fois le tour du pâté de maisons, manière de ne pas mourir dans la fleur de l'âge, la conscience pure et les sens repus. Inutile de prendre à la légère les demi-menaces et/ou les pseudo-conseils de la mère Woman. M'étonnerait qu'elle ait pas la haute main sur quelques tueurs discrets du Service Action qui pourraient me raccourcir la vie pour le fun. M'arriverait un accident étrange et venu d'ailleurs, genre défenestration de Prague (1618) ou la bûche sur la tronche, façon Cyrano.

Prudence, donc.

Mais là, je suis paré. Même Jambon ne m'arrive pas à la cheville. Côté bagnole, j'ai fait bricoler un pèse-bébé qui allume un feu arrière si on rajoute seulement un poids de 50 grammes à ma vieille Jag. Mon garage s'ouvre automatiquement (classique), mais peut dégager un gaz toxique pour accueillir les intrus. Toutes mes portes et fenêtres sont blindées comme la Papamobile ou le tracteur d'Al Capone. Quant à mon système d'alarme, c'est simple : s'il y a effraction, il siffle "Tiens, voilà du boudin". Si la voie est libre, il me pianote "La vie en rose". Imparable !

Reste mon jardin, ma verdure, mon parc aux chats, plus accessible aux malfrats que la maison. J'ai fait coller des détecteurs d'ultra-çons insensibles aux chats. Ne fonctionnent qu'avec les gros çons, encore qu'en matière de çonnerie, la petitesse, bonsoir !

Et ce soir, justement, ma télécommande me signale qu'il y a "du boudin". Deux boudins, si j'en crois les ultra-çons. Donc, j'arrête ma voiture à une cinquantaine de mètres et reviens à pied en contournant la maison. A travers les troènes, j'aperçois leur double silhouette : l'un bricole la serrure, l'autre fait le guet ou le gay, au choix.

Comme j'ai l'esprit gamin (vous vous en doutiez ?), j'ai bricolé une petite dérivation électrique sur cette serrure, manière de mettre les cambrioleurs au courant. Juste du 220 volts, made in EDF-GDF. Donc, j'actionne ma télécommande (le bouton rouge) et j'entends un "Ahhhh !" bien senti, assez différent quand même des "Ahhhh !" glorieux de Gladys in paradise.

- Qu'est-ce y a ? murmure son acolyte, prêt à faire feu.

- J'ai pris le jus.

A nouveau, la correspondance avec Gladys m'interpelle, mais seule la nuit voit mon sourire.

Peu à peu, je distingue les deux hommes. Des allures de flic. L'un d'eux transporte une mallette.

- Qu'est ce qu'on fait ?

- On se tire.

No problem, sauf qu'avec le bouton vert, je viens d'électrifier la clôture du jardin. Nouveau concert de "Ahhhh !" des duettistes de la cambriole, pendant que je m'éloigne pour tenter de repérer leur bagnole. Je refais à pied le tour du quartier et je la retapisse aisément, à moitié parquée sur le trottoir, chose qu'aucune âme bien-pensante du quartier n'oserait faire. Tranquillement, je crève un pneu, coupe à distance l'électricité de ma clôture et j'attends, dissimulé derrière un autre véhicule, à quelques mètres de là.

Cinq minutes plus tard, arrivée rageuse des duettistes :

- Putain, je t'avais prévenu que Tristan, c'était un os ! dit l'un.

- Os ou pas, il faudra bien qu'on le branche ! réplique l'autre.

- Merde, le pneu ! Manquait plus que cette couille ! Pose ton barda et sors le cric.

Pendant qu'ils sont occupés à jouer les garagistes d'occase, je m'approche d'eux, flingue en batterie :

- Alors, Messieurs, un problème ? m'enquiers-je avec ma voix melliflue.

Les deux hommes accroupis se retournent, me retapissent, voient mon flingue :

- Déconnez pas, Commissaire, on est de la Maison !

- Justement, vous m'en voyez ravi. Alors, vous avez cinq secondes pour choisir la bonne solution. Solution 1 : je récupère la mallette, vous me dites à qui je dois la remettre et vous décarrez sur le champ. Solution 2 : vous me remettez vos cartes de flics à la noix, les papiers afférents au véhicule et je préviens la Police que j'ai surpris des voleurs en flagrant délire. Solution 3 : je vous tire une balle dans la cuisse et j'explique que j'ai fait feu sur des cambrioleurs qui me menaçaient avec leurs armes. Je répète ou votre connerie a des limites ? Personnellement, je ne vous le cache pas, la troisième solution me plairait assez...

- Ça vient d'en haut, Commissaire. On peut rien vous dire.

- Bon, eh bien, ça va vous faire trois semaines d'hôpital et trois mois de congé aux frais de l'Etat ! Mais rassurez-vous, dans la cuisse, ce n'est pas très douloureux... Enfin, d'après ce que certains malfrats m'en ont dit.

- Boulevard Mortier. Ça vous convient comme réponse ? avoue l'un.

- Le lieutenant-colonel Mijart, je présume ? Allons, messieurs, dépêchez-vous, mon flingue s'impatiente !

- Son adjoint, le capitaine Brémond, avoue l'autre.

- Parfait. Foutez-le camp.

- On peut tout de même changer la roue ? demande penaudement l'un.

- Non. Dans n'importe quel rallye, on peut faire 50 kilomètres avec un pneu crevé. Vous pourrez bien en faire quatre. Allez, ouste !

- Et la mallette ?

- No problem. Je la remettrai en personne au lieutenant-colonel Mijart. Et n'oubliez pas de transmettre toutes mes amitiés au capitaine Brémond.

Toujours sous la menace de mon 357 Magnum, les deux larbins remontent dans la teuf-teuf et démarrent. Et dans la nuit, qui tire lentement sa révérence, je contemple la lumière brasillante de leurs feux arrières qui monte et descend comme un ludion.

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