Chapitre 31

Vous connaissez le Brésil ?

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Miss Buste babille avec Amaris sur les grands événements du monde : faut-il s'épiler le triangle ? Hilary Clinton est-elle un coup ? Est-il vrai, comme l'affirme Charles Boit de L'Air, que "seule la brute bande bien ?" A quoi Amaris lui répond qu'il n'aime que les jeunes filles maigres et muettes, mi-figue mi-banane, et qu'elle peut remballer son attirail de pêche au gros : il ne mange pas de ce pain-là. Du coup, vexée, Marianne opère une rotation de 180 degrés, fait vibrer sa gélatine et va se rasseoir à son bureau.

- Alors Monsieur, vous êtes au courant pour le capitaine Brémond ?

- Je pense, donc je suis !

- La forêt de Fontainebleau. Curieux, non ? Lapaire et Blacky sont partis pour repérer l'emplacement de la bagnole. Et glaner, si possible, quelques infos.

- Parfait. Vous avez testé le matériel pour mercredi ?

- C'est vérifié, Monsieur. Juste un détail qui me préoccupe : Madame Isambard de Lafigue est-elle toujours dans notre collimateur ?

- Toujours.

Il sourit. Je reprends :

- Tu veux savoir si le rose-fuchsia lui sied bien ?

- Oh, Monsieur, je ne me permettrais pas !

- Ah ! Très bien. Et vous, Marianne, est-ce que vous mettez des porte-jarretelles rose-fuchsia ?

Visiblement, elle n'a toujours pas décoléré :

- Jamais lorsque je viens au bureau. Il y a trop de ploucs ! Mais la pute qui vous attend dans votre bureau, elle, elle doit certainement en mettre pour aller bosser.

*

Daphnée ferait tourner de l'oeil à une escouade d'eunuques. Sous un imposant manteau de loutre d'Hudson, entrebâillé pour la beauté du spectacle, elle ne porte qu'un chemisier transparent où s'aèrent deux seins nus. A peine m'aperçoit-elle, qu'elle se précipite dans mes bras comme si le Titanic coulait.

- Oh, Tristan ! Tristan ! Il faut que vous fassiez quelque chose !

Je lui masse délicatement les fesses, histoire de parer au plus pressé :

- Calmez-vous et racontez-moi ce qui se passe.

- Pour le capitaine Brémond, vous êtes au courant ?

- Non. C'était votre amant ?

- Non, oui, enfin, disons que je le dégorgeais de temps en temps...

Madame la Poésie, bonsoir !

- Et alors ?

- Je viens d'apprendre qu'il s'était suicidé. C'est pas possible !

- Pourquoi ?

- Mais parce qu'il était trop con ! Les cons, ça ne se suicide pas !

Je m'abstiens de commenter cette révoltante vérité.

- Mais, alors, où est le problème ? m'enquis-je.

- Mais enfin, c'est évident ! D'abord, ils assassinent mon mari, ensuite ils suicident mon amant; je suis fatalement la troisième sur la liste ! Oh, Tristan, je vous en prie, protégez-moi !

- C'est qui "ils" ?

- Mais je ne sais pas, moi ! Les Services spéciaux, les Arabes, les Juifs, la CIA, les Noirs, n'importe qui ! Horace n'arrêtait pas de vendre des armes au premier venu ! Vous savez ce que c'est, le commerce...

- Et Brémond, il vendait quoi ?

Daphnée s'est rassise. Elle évacue sa nervosité dans un croisement de jambes, façon Sharon, m'assurant ainsi qu'elle paiera mes services aux deux pieds levés.

- Mais Brémond ne vendait rien, il...

- Il...

- Il s'occupait de sécuriser les règlements. Vous savez comment ça se passe...

- Absolument pas.

- Mais si ! Il y a d'énormes sommes d'argent liquide en jeu, des dessous de table, des compensations en nature, c'est très compliqué...

- Je croyais que Brémond était un con ?

- Oui, mais un con efficace. Et très bien organisé.

- Et pour quelles raisons vous sentez-vous menacée ?

- Mais parce que j'étais au courant de toutes ces magouilles, tiens ! Vous savez, le Brémond, il partait au quart de tour ! C'était donnant-donnant. Moyennant quoi, je savais tout ce que je voulais savoir.

Les propos méprisants de Katy me reviennent en mémoire : "Elle le menait d'ailleurs comme un caniche; à l'occasion, elle le faisait même aboyer."

- Vous le promeniez en laisse ?

Daphnée me gratifie d'un sourire sardonique :

- Oui, mais seulement quand il n'avait pas été sage...

- Par exemple, vous connaissez je suppose le numéro du compte genevois de votre mari ?

- Par exemple.

Elle marque un temps, soupire, se caresse un peu les seins pour faire bonne mesure, puis :

- Alors, qu'est-ce que vous me conseillez ?

- Vous connaissez le Brésil ?

- C'est loin, non ?

- Assez pour vous mettre à l'abri d'un éventuel "suicide". Partez ce soir. Envoyez-moi un mail lorsque vous serez arrivée. Je vous ferai signe dès que vous pourrez rentrer.

Mon conseil semble terriblement la désappointer :

- Vous pensez que c'est la meilleure solution ?

- Il y aurait bien l'abri anti-atomique, mais c'est plus étroit.

- Idiot ! Vous croyez que j'ai envie de rire ?

- Je crois surtout que vous n'avez pas envie de mourir jeune. Moyennant quoi, je vous donne le meilleur conseil pour l'éviter.

Elle semble réfléchir, puis :

- Vous pensez que je doive m'embarrasser d'une arme ?

- Au Brésil, la meilleure arme, c'est le string.

- Oh, alors là, je suis parée !

- Juste un dernier renseignement, avant que vous ne vous envoliez pour aller visiter le Pain de Sucre : du côté de Fontainebleau, il se passe quoi ?

- Mystère total. Vous savez, moi, la forêt... Bon, je file préparer mes bagages. Bisous et merci.

- Est-ce vraiment nécessaire de repasser par votre appartement ?

- Vous plaisantez ? Vous ne voulez tout de même pas que je parte comme ça ! Je n'ai même pas de culotte.

Elle me tend ses lèvres négligemment :

- Ça, je m'en étais aperçu, lui dis-je en guise d'adieu.

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