Chapitre 39

Comme des fous

-oOo-

 

Non seulement le sieur Lapaire, mais Miss Buste paraît également transformée. Cet entraînement haut de gamme nous les rend tonifiés. Bravo Tristan ! Bon, z'avez aussi la technique Télé Achat : vous vous collez des pastilles sur le bide, vous tournez le bouton rouge et vous attendez l'équinoxe du printemps. Surtout que la cellulite horrifiée s'électrocute bien à votre connerie paresseuse et change de place. Un autre truc consiste aussi à se répartir les ventouses sur la tronche. Franchement, si vous n'avez rien dedans, qu'est-ce que ça change ?

- Commissaire, il paraît que j'ai le compas dans l'oeil ! m'avoue Marianne en me présentant sa double pièce montée.

- Ça fait mal ?

- Au fusil à lunette, je les ai tous mis d'équerre ! Même Amaris et Blacky n'en revenaient pas.

- C'est bien. Vous serez chargée d'anesthésier les Dobermans.

- No problem, Sir.

- Vous parlez l'anglais d'Oxford maintenant ?

- Je prends des cours. Hier soir, j'ai regardé Toy Story en version originale.

- C'est quoi ce machin ?

- Une sorte de dessin animé. Vous n'aimez pas les dessins animés ?

- Des seins animés comme les vôtres, on en redemande !

- Commissaire, vous êtes un obsédé !

- Ah, je vous en prie, appelez moi "Sir". Mon enfant, my Sir/Songe à la douceur/ D'aller là-bas vivre ensemble...

- C'est quoi cette connerie ?

- C'est une connerie de Charles Baudelaire, un Serbo-Croate émigré aux Etats-Unis et mort en 2012. Il a écrit notamment Viens Poupoule et Casser la noix.

Miss Buste soupire, cambre les reins pour mieux secouer ses calebasses et ajoute :

- Et dire qu'il me prend pour une idiote !

*

Le seul point noir de notre escapade nocturne, c'est le contact radio. Pas le nôtre : le leur. La longue antenne qui surplombe le toit de la Mercedes verte nous pose problème : impossible de l'intercepter et de prendre la place des macaques pour pénétrer à l'intérieur du big blockhaus. D'un autre côté, si l'on intervient après le départ de la garde descendante, le risque subsiste qu'Oméga les rappelle à la rescousse. Nous faudra donc, presque en même temps, bloquer les occupants de la Mercedes et investir Oméga. Or, nous ne sommes que cinq (Ronald a tellement tempêté que j'ai fini par le prendre), sans compter Miss Buste, notre lorgneuse de chiens.

Mieux, il nous faudra même envisager une retraite rapide au cas où. "Savoir, pour prévoir, afin de pouvoir" qu'il a dit le grand Auguste (Comte de son état). Mais là, j'ai prévu. Enfin, presque... Évidement, y avait la solution Zorro, Cyrano, Rambo. Seul contre tous, et la victoire en chantant. Mais sans le réalisateur, le caméraman, le preneur de son et toute l'armada des techniciens derrière moi, c'est nettement moins fastoche. Dans mon book, on est dans le vécu vrai. Et je vous préviens, pour que vous prépariez vos mouchoirs, même le héros il peut mourir ! Enfin, il peut. Mais d'abord, il faut que je relise mon contrat pour savoir combien je dois vous tartiner d'épisodes.

*

Enfin le jour J (comme Jackpot ou J'accuse) est arrivé.

Temps clair, demi-lune, nos trois bagnoles merdiques, nos tenues de camouflage et un poil de trouille, que même il a fallu s'arrêter pour Lapaire qui devait poser son gros tourment. Vu qu'on n'avait pas prévu le papier Lotus, l'a oeuvré avec une page de Gala que Marianne lui a gentiment cédée.

2 heures 30. Nous laissons Lapaire et Bouzin avec les voitures planquées : c'est lui qui devra stopper, cinq kilomètres plus loin, la garde descendante.

3 heures. Nous avons parcouru les 4 km 723 du chemin de terre et nous sommes à pied d'oeuvre. Je place Marianne pour qu'elle ait une vue parfaite sur le parc : pas de chiens en vue. Nous sommes allongés côte à côte. Blacky, Amaris et Darta me signalent dans l'oreillette qu'ils sont en place tout près de l'entrée.

Attendons.

- Commissaire, franchement, vous n'y avez jamais songé ?

Je lui fais signe de masquer, comme moi, son micro émetteur. Inutile de rejouer M.A.S.H pour la galerie.

- À quoi, mon petit ?

- Mais à me sauter !

- Dans cette tenue et avec cette cagoule ? Jamais.

- Mais non ! Vous savez bien...

Et elle frotte sa jambe contre la mienne. Ah, tenez, c'est comme la madeleine de Proust : je revois soudain un film qui avait bouleversé ma jeunesse. Pour qui sonne le gland avec Gary Cooper et l'éblouissante Ingrid Bergman. Il y a si longtemps que j'ai vu ce film que tout est devenu noir, hormis un passage, un seul : lorsqu'ils doivent dormir, pour la première fois, dans le même sac de couchage. Bouleversant.

- Pourquoi ? Vous y tenez tant que ça ?

- Vous voulez savoir la vérité vraie, comme vous dites ?

- Oui, mais ménagez-moi. Vous savez combien j'ai le coeur sensible...

Je devine qu'elle a haussé ses épaules et que ses seins ont bougé.

- Quand je suis venue à la brigade, je n'étais pas particulièrement à la recherche d'un emploi. J'avais vu votre photo dans Jours de France, et tout de suite j'ai voulu vous rencontrer. Comme mon père était flic, c'était facile. Oh, je savais bien que vous meniez une vie de barreau de chaise : tous les journaux en parlaient. Mais vous, vous étiez un peu comme mon héros. Et je m'étais dit qu'en étant jeune et jolie, un jour viendrait où vous vous intéresseriez à moi... Comme lorsque je suis arrivée à la brigade, on m'a demandé si je venais pour la place, j'ai dit "oui" sans réfléchir. Et depuis, je suis toujours amoureuse de vous.

Là, je vais vous dire : je suis vieux, souvent con, quelquefois salaud, mais les jeunes filles amoureuses, c'est sacré.

Alors, j'ai soulevé délicatement la cagoule de Marianne, elle a soulevé la mienne, et nous nous sommes embrassés comme des fous.

-oOo-