Chapitre 40

Bison très futé, ici Canard Sauvage

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3 h 30. Nos loustics sont arrivés. Deux appels de phares courts, un long et encore trois courts. Aboiements des chiens. Projecteurs violents. La passation des pouvoirs ne se fait pas dans l'absolue discrétion. Manque juste les fumigènes et les supporters pour nous rejouer OM-Bastia. Je constate qu'il n'y a aucun garde à l'extérieur et déduis qu'ils doivent être neuf en tout : trois qui montent, trois qui partent, trois qui restent. Donc six pour nous, si Bouzin ne rate pas son coup.

Avec l'effet de surprise, c'est jouable.

Cinq minutes plus tard, la Mercedes verte fait demi-tour. J'alerte Bouzin :

- Mets en route. Ils vont déboucher du chemin de terre incessamment sous peu. N'oublie pas de rouler vite !

Marianne est déjà prête, fusil en batterie. Les chiens gambadent encore dans l'enceinte grillagée. Nous attendons que les projecteurs s'éteignent en espérant que les chiens ne regagnent pas leur niche trop rapidement.

- Maintenant !

Le première seringue hypodermique part dans un "plouf" prometteur : le premier Doberman vient de s'affaler. Idem le second, quelques secondes plus tard.

- Je ne vois pas le troisième, me glisse Marianne.

- T'inquiète, il va venir renifler ses petits copains.

Fectivement, Médor se demande le pourquoi de cette sieste imprévue, hume discrètement les parties fétides de son copain et s'endort à son tour sous la troisième piquouse de Miss Buste.

Je lance l'ordre d'attaque :

- Canard Sauvage à troupeau de gnous, c'est parti !

Pendant qu'Amaris s'engage dans le souterrain, Darta sectionne le câble de l'antenne radio et, pourquoi se compliquer la vie quand on peut faire simple ? je rentre tranquillement par la big porte.

- Farid, va voir si l'antenne n'a pas un problème. J'ai plus d'émission, s'inquiète une voix nasillarde.

- OK, Youssef, j'y vais.

Je me planque pour laisser passer Farid, à charge pour Darta de lui raconter sa vie.

C'est maintenant que le hasard objectif doit se montrer favorable. Sinon...

Du coup, Little Youssef n'en revient pas de voir surgir devant lui un mec cagoulé kaki-black. "Vous ici, dans mon sweet home !" Je ne lui laisse pas le temps d'appeler sa mère et je lui chuck le norris et la mâchoire dans un double yokokoyo qui guérit.

Darta me rejoint.

- Et Youssef ?

- Marianne l'a anesthésié au moment où il allait me sauter dessus.

- Brave petite ! Bon, en principe, il nous en reste quatre.

- La salle radio doit être à gauche.

(Je vous traduis notre gestuelle au cas où vous ne comprendriez pas notre dialogue de sourd et muet)

J'ouvre la porte le plus naturellement du monde : deux hommes nous tournent le dos.

- On n'a toujours rien, dit l'un. Je téléphone à la base.

- Inutiles, Messieurs, le premier qui éternue je le flingue !

Le petit gros lève les bras gentiment; l'autre, plus nerveux, l'oeil charbonneux et le nez morveux, euh euh, nous prépare un sac de noeuds. Pas le temps de plaisanter : je l'étends raide d'une manchette sur la carotide, que mon professeur de Kon Fou, Yakapashié, il raffolait de cette arme.

- Toi, tu as pas de rhume ? je demande au petit gros, mon flingue enfoncé dans le gras du bide.

Pas de réponse.

- Vous êtes combien dans la baraque ?

Toujours pas de réponse.

Je colle alors mon flingue contre son oreille :

- Écoute, mon gros : si je tire, ton tympan explose et tu es sourd pour le restant de ta vie. Je compte jusqu'à trois : un, deux, t...

- On est six.

- Parfait. J'aime les coopérations spontanées.

Darta a fini de ligoter et de bâillonner le nervi. J'assomme gros bide :

- Fini le boulot en vitesse : doit en rester deux.

A ce moment-là, la porte s'ouvre brusquement. J'ai déjà levé mon flingue : c'est Amaris.

- Les deux autres sont out, annonce-t-il. Je viens de les ficeler dans le souterrain.

- OK, je contacte Lapaire. Bison très futé, ici Canard Sauvage. Amène le fourgon fissa.

- Et moi, qu'est ce que je fais ? me demande la Puce dans le creux de l'oreillette.

- Tu restes en place, Trésor. Si quelqu'un vient, tu l'endors.

A ce moment-là, mon oreillette grésille à nouveau. Le son est moins net, à cause de la distance :

- Einstein à Canard Sauvage : tout s'est bien passée. J'ai lâché mes clous dans un virage et leur bagnole est rentrée dans le décor après avoir fait trois tonneaux.

- Et comment sont les dindons ?

- Rôtis. La bagnole a pris feu instantanément.

- Parfait. Tu rentres à la base sans te faire remarquer.

Bon, et maintenant, un petite visite des lieux s'impose. Il y a dix minutes qu'on est là : nous sommes dans les temps.

J'espère que vous êtes bien assis, because c'est l'horreur.

Le genre multinationale du crime. D'abord, on découvre une petite pièce aménagée en studio de photographies pour pédophile friqué (avec d'abominables photos placardées aux murs); ensuite un laboratoire de chimie pour la transformation de la morphine base en héroïne; et, le plus stupéfiant (si je puis me permettre), une salle d'opération rudimentaire, dont on comprend tout de suite qu'elle devait servir aux prélèvements d'organes.

- Darta, tu me prends des clichés de tout ça. Je veux des preuves. Amaris, enlève-moi les disques durs de ces trois ordinateurs. Avec Blacky, on part à la recherche des autres clients.

- Dans le souterrain, il y a des ballots de came et des caisses d'armes.

- Pas le temps. Ça urge. Il faut décamper dans cinq minutes.

Les gémissements nous ont guidé. Une petite fille pleurait. On a récupéré quatre enfants, deux adultes ("opérés" la veille) et cinq adolescents, tous prostrés, sales, affamés.

Dès qu'ils sont en sécurité dans le fourgon, j'ordonne à Lapaire de les convoyer vers un hôpital.

- Vous trois, vous accompagnez Lapaire et vous veillez au grain. Pas question qu'on nous les fasse disparaître. Blacky, dès que vous êtes à l'hôpital, tu alertes la gendarmerie de Fontainebleau en leur signalant la came et les armes.

- Et vous, Monsieur ? me demande Amaris, toujours auréolé de son exquise politesse.

- Moi, je rentrerai avec Miss Buste. Filez, je crois qu'on a déjà de la visite.

Le ronronnement caractéristique d'un piper-cub grandit dans ma splendide audition. Je fonce vers la salle radio, repère la manette "Balisage" et j'allume la piste.

Trente secondes plus tard, j'ai rejoint Marianne, toujours à plat ventre dans l'herbe, les lunettes d'approche vissées aux yeux.

- C'est quoi ce zinc ?

- Une agréable surprise.

Après quelques petits soubresauts, le piper se pose face vent léger qui l'emporte et s'arrête près de la baraque.

J'ai pris le fusil chargé de Marianne et regarde l'occupante qui en descend.

- Mais c'est une de vos putes ! s'exclame Marianne, qui observe la scène avec ses jumelles.

The choc !

Pour la pute et pour moi.

La pute, que je viens d'anesthésier d'un seul coup d'un seul. Moi, qui ne lui soupçonnais pas ce tapin particulier.

Déjà le piper a fait demi-tour et s'apprête à décoller.

- Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? me demande Marianne.

- On décroche. Les gendarmes ne vont pas tarder à s'amener. Tu n'as rien contre la marche à travers bois ?

Miss Buste enlève sa cagoule, s'ébroue pour libérer ses cheveux blonds et ajoute :

- Si j'ai trop peur, je me serrerai contre vous.

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