Chapitre 42

Tu as mangé des flageolets ?

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Toute la gloire de l'affaire est revenue à la gendarmerie de Fontainebleau.

Suite à un interrogatoire tout en souplesse dans les parties molles, z'avez même pu déterrer quelques cadavres dans le parc d'Oméga : tout ce qu'il restait des amputations d'organes et autres tortures infligées par ces bourreaux. Impossible, en revanche, de remonter la filière saoudienne, ramifiée à l'extrême et parfaitement organisée. Mais le but de l'opération paraissait clair : amasser un maximum de fric, acheter des armes et alimenter la rébellion. Seule ombre au tableau, mais d'énorme taille : on n'y parlait ni de la "pute" ni du prince Abdel Aziz Ben Salem Fouhati. J'avais préféré garder ces bas morceaux dans ma poche pour assurer mes arrières. Le gros retour de bâton d'une réprimande annoncée n'allait pas tarder à nous tomber sur le râble. Un joker ne serait pas de trop.

*

Le coup de fil de Katy Woman est d'ailleurs arrivé dans l'après-midi. J'étais convoqué sur l'heure. Voix sèche : "Je crois que nous avons des comptes à régler".

Certes !

Et, à la tronche que ma brûlante danseuse me tirait, j'ai compris tout de suite qu'elle comptait surtout me régler le mien.

- Je croyais pourtant avoir été claire ! Le prince Fouhati est un ami de la France, un ami du Président. Et vous ne deviez, sous aucun prétexte, vous ingérer dans ses affaires privées !

- Les affaires privées de cette gentille smala sont la drogue, la pédophilie, la torture et le prélèvements d'organes. Plus quelques meurtres. Vous le savez, je le sais, et demain la France entière le saura.

- Mon cher Commissaire, vous confondez les intérêts de l'Etat et vos fantasmagories personnelles. Nous avons besoin du prince Fouhati pour des raisons politiques de la plus haute importance. Je vous demanderais désormais de vous le tenir pour dit. Et de cesser de jouer les cow-boys en enfreignant les ordres de votre propre ministre.

- Madame, je vais vous citer seulement un chiffre. J'espère que vous me comprendrez à demi-mot.

Méconnaissable, la Katy. Enfin, le serpent sort des ténèbres.

- De quel chiffre parlez-vous ?

- Du numéro 623 212 789 546. Vous voyez, je le connais par coeur.

Miss Woman est devenue toute pâle. Je la sens réfléchir à 200 à l'heure, mais les solutions sont limitées. Deux longues minutes se passent, qui semblent durer des siècles. Puis, elle demande :

- Que voulez-vous ?

- Que vous fassiez reconduire tout ce joli monde à la frontière. Je vous donne trois jours.

- Et si je refuse ?

- Je déballe tout : le meurtre programmé d'Horace Kurl, l'assassinat de Brémond et, bien entendu, votre numéro de compte en Suisse, ainsi que les sommes versées par Fouati. Je peux même, si vous le souhaitez, vous donner le décompte exact de ces sommes depuis 1981 ?

- Inutile. Et, par curiosité, d'où tenez-vous toutes ces informations ?

- Nous avons récupéré quelques disques durs et Daphnée Kurl, qui craignait à juste titre pour sa vie, nous en a fourni le complément.

- Elle est morte. Vous l'avez tuée.

Je reste confondu devant tant d'ignominie :

- Nous nous étions contentés de l'endormir quand elle est descendue du piper-cub. Mais je vois que vous n'avez pas traînée en chemin pour terminer le travail. Enfin, rassurez-vous, au cas où il m'arriverait un accident, toutes ces précieuses informations sont en lieu sûr. Et en multiples exemplaires.

Je marque un temps, puis :

- Je peux donc compter sur vous ?

Katy Woman n'a pas répondu, mais je savais qu'elle n'avait plus le choix.

A moment de franchir la porte, j'ai simplement ajouté :

- Merci pour le disque de Ray Charles. Un régal !

*

Deux jours plus tard, un communiqué de presse signalait que toute la clique du prince avait été reconduite à la frontière. Motif officiel : espionnage et activités diverses, contraires aux intérêts de l'Etat.

- Mais nous ne disposions pas de toutes ces preuves ! s'est exclamé Bouzin, à qui j'avais relaté mon entrevue.

- Non, mais lorsque les mensonges confortent la vérité, il est plus facile de les croire. Horace avait commis le tort irréparable de la tromper avec sa nièce et Brémond en savait trop : il a suffit à Katy de révéler aux saoudiens qu'ils avaient trahi.

- Et son compte en Suisse ? C'est inviolable, ces machins !

- Question de doigté. Dès lors que je possédais le numéro d'un compte anonyme, on pouvait bien anonymement m'en révéler la teneur. T'inquiète, cette salope a sa retraite assurée.

- Il y a quand même une chose qui m'échappe, a poursuivi Bouzin l'air soucieux.

- Tu as mangé des flageolets ?

- Qu'allait faire Daphnée dans la résidence Oméga ?

- Mystère ! D'après moi, elle venait tenter de sauver sa peau en expliquant que Catherine Woman les manipulait, que ni Horace ni Brémond n'avaient trahi. Elle devait, je suppose, compter sur l'intrépidité de sa démarche pour les convaincre de sa bonne foi. Et se mettre à l'abri des représailles "officielles".

- C'était risqué !

- Plus que risqué : mortel. On l'a "suicidée" dans sa cellule.

- Donc, l'affaire est pratiquement réglée ?

- Presque. Je dois d'abord rentre visite à un vieil ours qui adore le miel.

- Antoine Berne ?

- Tout juste. Au fait, je n'ai pas vu Marianne ?

Bouzin s'est fendu d'un large sourire qui en disait long :

- Elle m'a téléphoné pour m'avertir qu'elle ne viendrait pas ce matin. La pauvrette, toute cette aventure l'a lessivée. Il paraît qu'elle a passé une très mauvaise nuit...

Mon visage est resté de marbre :

- Moi aussi. Tout ce Mal qui ne cesse de repousser comme du chiendent !

- Il faut croire en Dieu, Commissaire. Le Mal demeure, mais l'Espoir ne meurt jamais.

- Tu as raison, Bouzin. Demain, j'apporte un cierge pour honorer le fessier de la Déesse.

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