Chapitre 43

Il y a des enfants qui nous écoutent

-oOo-

 

- Mais cette Elodie Honon, sais-tu enfin pour quelles raisons elle a disparu ?

Comme à son ordinaire, ma grand-mère Odette veut tout savoir. Prétexte : "Tu ne me racontes jamais rien !" Mais si, par malheur, je lui racontais mes galipettes, elle me sanctionnerait d'un "Je ne veux pas le savoir". Même ceux qu'on aime le plus au monde, il faudra toujours leur dissimuler l'ombre de notre âme. Le mensonge par omission, c'est la vaseline de la vie.

Donc Elodie.

Je lui explique surtout la raison pour laquelle la ministresse m'avait collé cette affaire : 1. Elodie venait de lui piquer son amant 2. Elle en savait certainement beaucoup trop pour rester en vie.

- Ainsi, tu as fait en sorte de ne pas la retrouver ?

- Elodie avait deux raisons de disparaître : elle venait de retrouver son père qu'elle croyait mort et elle craignait pour sa vie.

- Mais, sa mère, tu aurais pu l'en avertir !

- Trop risqué. Justine se serait empressée de le clamer haut et fort et sa chère soeur aurait agi sur le champ.

- Tu veux dire qu'elle aurait assassiné sa propre nièce ?

- Jamais de la vie ! Elodie aurait eu un accident de voiture ou serait passée sous une rame de métro.

- Mon Dieu, quelle horreur !

- En parlant d'horreur, tu nous as mijoté quoi pour dîner ?

- Une pintade au safran.

Durant tout le repas, nous papotons littérature, peinture, cinéma, télé, web. Elle m'avoue correspondre avec un écrivain plein d'humour dont elle a découvert le site par hasard.

- Il s'appelle comment ?

- Léon Bauprac.

- Connais pas. Il écrit quoi ?

- Des grivoiseries.

La pintade m'en tombe des incisives !

- Tu veux dire que tu lis des trucs olé olé ?

- Bien sûr, gros bêta ! Parce que tu t'imagines que la sexualité, ça s'arrête à quarante ans ! Vous, les jeunes, vous êtes vraiment très marrants ! Mais la sexualité, c'est dans la tête !

- D'accord, d'accord ! Je fais amende honorable. J'imaginais simplement que tu ne t'intéressais pas à ce genre de choses. Ou, si tu préfères, qu'à 75 ans, ce genre de littérature avait cessé de t'intéresser.

- Mais pas du tout ! Évidemment, je préférerais que tu me racontes tes fredaines avec toutes ces maîtresses, mais comme tu ne me dis jamais rien !

Je vous avais prévenu : ma grand-mère Odette, c'est un cas.

*

C'est en rentrant sur Paris que l'envie me prend de rendre visite à Sainte Gladys. Son gros portail des étoiles obsède ma pente perverse. L'humain, c'est bien pour le tout venant de la vie; mais, de temps en temps, le surhumain nous démange. On veut mâchonner l'edelweiss sur d'autres sommets, planter son drapeau sur la lune, grimper différemment en paradis. Cette femme me hante. La partie cachée de l'iceberg se réchauffe. Je sens que mon pantalon fume déjà.

- Oh, Tristan, comme c'est gentil de m'appeler.

- Je peux passer te voir ?

- Bien sûr !

Quelques minutes plus tard, je sonne à sa porte.

Longue robe moirée, surenchère des parties nobles et charnues, chignon sévère, lunettes de la directrice impitoyable, on ne sait vraiment plus qui quémande sa punition préférée.

- Justement, je pensais à toi. Ils ont parlé à la télé d'un commando masqué qui serait à l'origine du démantèlement de ce réseau saoudien. Tu ne jouerais pas Zorro par hasard ?

Je respire son odeur, caresse sa monumentale croupe, dévore sa bouche.

- Si. Le fouet m'excite. Tu n'aurais pas un martinet dans ton cartable ?

Elle mime l'outrage désiré :

- Oh, non, Tristan, pas ça !

- Allez, jeune fille, montrez-moi l'objet de votre délit. Je sens que ce soir, il faut sévir !

Je lui enlève sa robe dans une demi-protestation.

- Non, tu gardes tes chaussures, seulement tes chaussures. Et tes lunettes.

- Et maintenant, je fais quoi ?

- Tu marches en fumant tranquillement ta cigarette. Et tu m'expliques pourquoi tu m'as menti sur ton alibi ?

Alors Gladys marche.

Je vais vous dire un secret : aucun film, aucune émission de téloche, aucun one man show avec tout le tralala des éclairages ne peut remplacer un tel spectacle. Le festival d'Avignon, les Jeux Olympiques et Holliday on Ice mis bout à bout, c'est de la roupie de sansonnet. Vous ne me croyez pas ? Essayez. Nous avons tous une Gladys quelque part, qui ne demande qu'à se dévouer pour une fête des yeux. Sans parler de cette croupe du Horse qui sommeille dans la tête de Crazy.

- Je t'ai menti par bêtise. Corinne jetait littéralement l'argent par les fenêtres. Or, je savais pertinemment que ce qu'elle gagnait ne lui permettait pas de telles folies. Lorsque nous sommes parties en vacances ensemble,...

- Marche !

- Oui...et qu'elle a acheté cette somptueuse maison, j'ai compris tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond. Je peux fumer ?

Elle s'arrête, allume une cigarette, boit une gorgée de whisky et reprend son délicieux calvaire :

- J'ai fait le rapprochement entre ces enlèvements d'enfants et ces liasses de billets qui encombraient régulièrement son sac.

- Détail dont tu ne m'as jamais parlé.

- Mais, Tristan, je m'apprêtais à le faire...

- Donc, il faut sévir ?

- Oui, mais doucement. C'est la première fois que...

Bon, j'arrête. Il y a des enfants qui nous écoutent.

-oOo-