Parole d'Antoine ! -oOo-
Antoine m'a téléphoné dans l'après midi. Tout joyce. " Bien joué : elle est fichue" - Tu parles de qui ? - Mais de W C, Water Chiottes, ta ministresse adorée ! Puis, comme s'il en avait déjà trop dit au téléphone, il ajoute : "Je t'attends dans la soirée. Il faut qu'on se parle". - Mais c'est que... - J'veux pas le savoir. Et puis, tu es le parrain de ma fille. Un vrai petit trésor. Allez, Tristan, tu ne peux pas manquer ça ! Que dire ? - D'accord. D'ici trois, quatre heures, je suis chez toi. Mathilde va bien ? - Très bien. Elle ne peut pas te répondre. Elle mange du miel... J'imagine. - Au fait, tu ne sautes pas en parachute, comme le père Noël ? - Trop froid. Je ne voudrais pas me congeler mes jouets de famille. - Tu as raison. Bite chaude et tête froide. Comme les profiteroles. Entre deux gorgées de miel et trois tétées, Mathilde a trouvé le temps de nous préparer un magnifique repas : côte de boeuf à la Creutzfeldt-Jacob, frites Mac Do et salade du jardin. Antoine piaffe comme un buffle. Depuis ma dernière visite, il a dû prendre au moins cinq kilos. Sa large panse étire au maximum ses bretelles rouge vif et sa chemise dépoitraillée libère un orang-outan de premier choix. Mais l'oeil noir transperce toujours sa cible. Il ressemble à Orson Welles, revu et corrigé par King Kong. - Je savais bien que cette salope chapeautait l'affaire ! Je te dis qu'elle est fichue. - Mais Antoine, nous n'avons aucune preuve ! - Écoute, Tristan : les preuves, tu les as et je les ai. Et cette pute ne restera pas plus longtemps dans son fauteuil de ministre, parole d'Antoine ! - Mais de quelles preuves parles-tu ? C'est Mathilde qui répond : - Mais Tristan, tu sais bien qu'Antoine est toujours au courant de tout ! Lorsque le commandant de la gendarmerie de Fontainebleau lui a téléphoné pour lui parler d'un commando, il savait déjà que c'était toi ! Il a même averti Mijart à propos du capitaine Brémond : "Dans moins d'une heure, si ce n'est déjà fait, c'est un homme mort". - Impossible : personne ne savait que son intervention à mon domicile constituait une menace pour Catherine. Or il était déjà mort quand je suis arrivé chez elle. Antoine ricane : - Ça, c'est ce qu'elle t'a fait croire. En fait, elle l'a suicidé après ton départ. En somme, tu lui servais d'alibi. Tu le croyais déjà mort avant qu'elle ne le tue. Remarquable, non ? - Mais comment pouvait-elle savoir à l'avance qu'il allait se tirer une balle dans la tempe près de la forêt de Fontainebleau ? - Parce qu'elle lui a elle-même donné rendez-vous là-bas, tiens ! Essaie d'imaginer le topo :
Antoine marque un temps, puis : - Franchement, tu en connais beaucoup des capitaines qui se brûlent la cervelle avec un six trente-cinq ? C'est pourtant le calibre de la balle révélé par l'autopsie. Or, Brémond n'a jamais possédé de six trente-cinq. Tant de machiavélisme et d'audace me confond. Me semble que j'ai pas suffisamment lu d'Agatha Christie quand j'étais jeune ! - Je vais t'en donner une autre preuve, poursuit Antoine. Lorsque tu as quitté Catherine, tu t'es rendu chez Mijart. Il m'a d'ailleurs téléphoné tout de suite après. Que t'a-t-il dit précisément à propos de Brémond ? - Qu'il n'était pas du tout au courant de ce suicide. - Exact, puisqu'il n'était pas encore mort ! Et c'est là que je t'apporte la preuve par l'oeuf : Brémond a appelé Mijart juste après ton départ pour le prévenir qu'il ne rentrerait pas de la matinée. - Mais enfin, Antoine, même si c'est Catherine qui l'a tué, tu ne pourras jamais le prouver ! - Non. C'est pour cette raison que j'ai besoin d'autre chose... Je t'explique : Brémond gérait toutes les affaires d'Horace Kurl, moyennant quelques turlutes dont sa femme le gratifiait de temps en temps. C'est la vie. C'est même lui qui approvisionnait le compte numéroté d'Horace et virait, par la même occasion, un certain pourcentage à Katy afin qu'elle ferme les yeux sur ce trafic. Le quatuor Horace, Daphnée, Katy et Brémond fonctionnait à merveille, d'ailleurs bien avant qu'elle ne soit Ministre de l'Intérieur. Je me demande même s'il ne leur arrivait pas de partouzer ? Enfin bref, en clair, ce que je te demande, c'est le numéro de compte anonyme de Katy. Je marque un temps, interroge ma belle conscience d'honnête homme, puis : - Et tu crois qu'un numéro de compte anonyme suffira pour que le Président soit convaincu de sa culpabilité ? - Oui. Avant de repartir pour son cher pays natal, le Prince Fouhati lui a déjà fourni certaines précisions. Juste retour des choses, puisqu'elle le foutait dehors ! A cette heure, Catherine a déjà un pied dans son Périgord natal. Si j'ajoute à cette douce rumeur, un compte numéroté chez nos amis genevois, le Président ne lui fera plus aucun cadeau. - En somme, c'est la Sologne contre le Périgord. Le numéro que tu cherches est le 623 212 789 546. Antoine sort un papier de sa poche, compare les numéros et conclut : - Exact. Je mime le parfait étonnement : - Mais pourquoi me l'avoir demandé, si tu l'avais ? - Deux raisons : savoir si tu étais toujours un bon flic et m'assurer de ta parfaite amitié. Antoine me regarde en souriant : - Tu as senti le piège ? Tu savais que je savais ? Je lui rends sourire pour sourire : - Oui. Antoine se renverse en arrière, tire sur ses bretelles dans un geste familier et conclut : - Alors, tu es toujours un ami, mais tu es devenu en plus un excellent flic. Mathilde, apporte-nous les alcools. Il faut qu'on arrose ça. |