Chapitre 7

Du côté de Santa Fé

-oOo-

Une fois n'est pas coutume : je réfléchis.

Why ? Because, d'ordinaire, je préfère sentir. Ça convient mieux à ma glande pinéale, celle que Descartes René il en faisait le siège de l'imagination et du sens commun. Et l'imagination, hein, c'est un peu la cassolette du génie. Alors, plutôt que de me lancer dans des interrogatoires, réquisitoires, baignoire, gégène et autres géhennes bien françaises, je préfère cogiter façon Tristan, savoir si dans Basic instinct l'essentiel réside dans la non culotte de Sharon ou si, dans toutes ces histoires de cul, c'est pas la Stone qui nous masque la forêt !

D'accord, j'ai quelques points de repère : Elodie Honon a disparu; elle fricotait une love story avec un homme marié, sans doute plus âgé qu'elle, et que tout semble désigner comme étant le dénommé Horace Kurl. Semblerait même que, la veille de sa disparition, on les ait vus ensemble place du Carrousel. Comme dirait Michael Curtiz, c'est une piste. Mais comme je ne cherche pas Errol Flynn du côté de Santa Fé, c'est pas la bonne ! N'empêche que moi, Errol Flynn, ça me rappelle de sacrés souvenirs ! C'est vicieux, le cinoche : ça vous éblouit l'enfance. Et Sartre, sans Les Mots, hein, aujourd'hui qui le lirait ? Bon, je vous parlais de quoi ? Ah oui, de la piste Horace Kurl. Justement Horace Kurl, il ressemble à Errol Flynn. Je l'imagine même in Les aventures de Robin des Bois, avec Elodie Honon sur ses épaules et vous la jetant sur la table en acajou renforcé au nez et à la barbiche du roi ! Cette scène, je la reverrais cent fois qu'elle me ferait toujours le même effet. Tout y est : l'aisance, la provocation, l'héroïsme, l'humour, la tronche constipée du félon et la belle Olivia de Havilland ! Z'avez pas vu ? Z'étiez pas né en 1938 ? Dommage. N'empêche qu'en 38 naissent deux chefs-d'oeuvre : le film à/de Curtiz et Annie MacBullock, que les jeunes messieurs, qui bandent à mort pour les vieilles superbement conservées, appellent également Tina Turner.

Donc, Horace Kurl. Hier, député; aujourd'hui considéré comme un proche collaborateur du Président - et spécialement en charge de la négociation de toutes les armes sophistiquées que notre pacifique pays vend aux estrangers. Où est le mal puisque, sur chaque caisse d'emballage en partance vers nos belliqueux voisins, on a pris soin d'écrire en toutes lettres : "Nuit gravement à la santé" ? Sont prévenus, non ?

Et, détail superfétatoire mais capital dans ma sublime story, l'Horace est d'une beauté damnable, ce qui me rend illico toutes les femmes suspectes, y compris la sémillante ministresse de l'Intérieur, Catherine Woman, qui m'a pourtant confié ce dossier.

Ceci étant, persona grata ou non, il me faut bien le rencontrer in petto.

Donc, le joindre et voir si.

- Bureau de l'Elysée. Présentez-vous et formulez votre demande.

- Commissaire Tristan. Je désirerais parler à Horace Kurl.

- Une seconde.

La seconde dure deux minutes, puis une voix d'homme :

- Kurl. C'est à quel propos ?

- Elodie.

- Vous aimez le Panthéon ?

- J'adore.

- 14 heures. A l'intérieur.

Et il raccroche aussi sec. Normal. Un type qui bichonne la main droite du Président, il peut pas dire bonjour ni merci.

 

*

 

Au fait, vous connaissez le Panthéon ? Comme résidence secondaire, je vous le déconseille. Comment dirais-je ? ça sent un peu le cadavre. C'est beau, c'est grand, mais c'est froid. M'étonne même que les supermen veuillent y dormir for ever. Mais bon, la gloigloire, c'est pire que l'éléphantiasis des burettes ! Ça vous gonfle le panthéon, que même les dames patronnesses, elles trouvent qu'il y a un peu d'abus !

Donc, le Panthéon.

Je l'ai visité un jour que le pendule à/de Foucault (pas confondre Jean-Bernard-Léon et Jean-Pierre) il pirouettait à la recherche de la rotondité de la terre. Impressionnant ! Tout aussi impressionnant que l'Horace, qui s'avance vers moi du même pas souple et nerveux que le capitaine Blood. Costume gris sombre, chemise blanche, cravate bordeaux. Simple, mais d'une élégance byronienne. Et quelle tête ! Je comprends que les femmes en plient le genou et les bas morceaux. Même Dorian Gray, à côté, il ferait play boy de pacotille !

D'emblée, il attaque :

- Excusez-moi pour tout à l'heure, Commissaire. J'ai dû vous paraître d'une impolitesse rare, mais ma fonction ne m'autorise pas beaucoup de fantaisie. Je ne redoute rien tant que le téléphone, si ce n'est le mail. Que voulez-vous, le monde est truffé de spécialistes, donc fatalement d'espions. Bien, maintenant, venons-en à l'essentiel. Je ne vous cache pas que je suis très heureux de vous rencontrer. Vous avez des nouvelles d'Elodie ?

Brouillon, mais limpide.

- Pas encore, mais nous cherchons.

- Ah ! Mais je croyais pourtant que le commissaire Lepriseur était chargé de l'enquête ?

- Il l'était. Mais la Ministre de l'Intérieur m'a demandé de m'en occuper personnellement.

- Ah !

Un second "Ah" qui ne me dit rien qui vaille.

- Cette décision vous paraît-elle déplacée ?

- Non, non. Elle m'étonne, c'est tout.

A sa bobine, je suppute (et j'en suis fière, ajouterait Madame Claude) que la ministresse et Horace n'entretiennent pas d'excellents rapports. Reste à savoir si, côté rapports, la tension est haute, basse, musculaire, gymnique, sudorale ou exclusivement politique ? Si je m'en réfère à ma cinquième intuition, l'étreinte fut chaude, l'aimantation magdebourgeoise (z'ont manqué d'air) et la relation houleuse. N'empêche que je ne peux pas lui demander ex abrupto s'il s'est farci la tante before la nièce ou les deux en même temps !

- Je suppose que je dois deviner certaines choses que vous ne pouvez pas décemment m'avouer ? lui dis-je avec un sourire jocondien.

Le bel Horace (mais elle pensait à quoi sa mère en lui refilant ce prénom ?) me rend mon pseudo-sourire :

- Voilà. Vous êtes au coeur du problème. J'ai rencontré Elodie au cours d'une soirée chez Catherine Woman. Je vous laisse imaginer comment les choses ont pu mal se passer. D'ailleurs, je suppose que si vous m'avez contacté, c'est parce que vous connaissez la suite ?

- J'en imagine même plusieurs, mais cette disparition n'est pas spécifiquement anodine. Soit elle s'inscrit dans le cadre des disparitions d'adolescentes ordinaires, soit elle a partie liée à la politique, soit (supposition étonnante, mais j'en ai vu d'autres !) nous entrons par la petite porte dans l'univers racinien avec la jalousie, l'eau de rose et l'hystérie en toile de fond. Restons réalistes : quand l'avez-vous vue pour la dernière fois ?

- Nous avions l'habitude d'aller nous promener au zoo de Vincennes. Ce jour-là, comme à l'accoutumée, nous avons marché longtemps. Je l'ai quittée, il devait être 17 heures. Elle devait me téléphoner dans la soirée. Elle le faisait toujours. A 11 heures du soir, inquiet, je me suis décidé à l'appeler chez elle. Sa mère semblait très inquiète. Je lui ai conseillé d'avertir immédiatement la police. De mon côté, j'ai téléphoné personnellement à Lepriseur, que je connais bien. Je l'ai incité, bien évidemment, à un maximum de discrétion. Après, je suppose que Justine a téléphoné à sa soeur, qui vous a diligenté sur cette enquête.

Bon, je vous fais l'impasse sur les autres questions que j'ai posées au champion flynnien : quel âge avait Lautréamont ? La circonvolution de Broca tourne-t-elle autour du pot ? La rose de la Mignonne est-elle fanée ? Où va Mozart ? Bref, des questions simples, qu'il a répondu en appuyant sur le bidule, mais vu l'approximation de ses réponses, l'a quand même pas gagné le dictionnaire Larousse.

N'empêche que j'ai appris certaines choses. Et notamment que Justine et Horace se connaissaient bien. Ce qu'elle aurait pu me dire...

 

-oOo-